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    Le Satyricon

      

    Le Satyricon est un long roman, écrit par un certain Petronius Arbiter (Pétrone, pour nous). Il n’en reste que des passages plus ou moins fragmentaires, à peine un quart du texte d’origine. L’action se déroule largement dans la Campanie (les historiens pensent avoir reconnu Pouzzoles, parmi toutes les villes décrites ou évoquées) dans les années 30 à 50 après J.C. Le livre raconte les aventures extravagantes et souvent scabreuses de trois jeunes hommes : Encolpe (le narrateur) et son ami Ascyltos, chacun d’une vingtaine d’années Ils sont accompagnés par Giton, un garçon de 15 ou 16 ans dont ils se disputent les faveurs. Ces trois jeunes gens , des marginaux sans famille, sans attache, errent au gré d’aventures qui les entraînent dans un univers glauque et peu recommandable, dans lequel ils survivent à grands renforts d’ingéniosité et de rapines.

     

    Trois bogosses qui pourraient être les personnages principaux du Satyricon
     
    Le Satyricon peut être considéré comme un roman érotique, voire pornographique ou pédérastique, même si le texte a vraisemblablement été édulcoré et affadi dans les siècles qui ont suivi son écriture. Les personnages appartiennent à une communauté homosexuelle ou bisexuelle. Leur nom a une signification en grec ancien : « Ascylte est l'« infatigable » à cause de son ardeur amoureuse. Encolpe veut dire celui qui est tenu dans le sein, dans les bras. Entendez : « le passif ». Giton signifie « voisin », mais dans la langue argotique grecque le sens est encore plus clair : Giton fait plutôt référence au « mignon », au « passif », au « minet » (Ce nom a d'ailleurs donné par antonomase, le mot français giton) alors qu'Encolpos signifie « enculé ».
     
    Un des thèmes dominants du livre est la rivalité sexuelle, dont Giton devient l'objet : « l'infatigable » Ascyltos n'aura de cesse de vouloir ravir Giton à Encolpe. Au passage, on apprend que, alors que Ascyltos est nu à la sortie du bain, la foule admire et applaudit la taille de son sexe. « Il avait en effet au bas-ventre un paquet si énorme que l’on aurait pu penser que tout le corps de cet individu n’était que la poignée du « fétiche » (amulette et objet – parfois de fort belle taille - représentant le pénis que les enfants portaient souvent autour du cou). Cette fois-ci, continue l’auteur, « certain chevalier romain, connu, disait-on, pour ses mœurs de bougre le couvrit de son manteau et l'emmena chez lui, afin d’être le seul à profiter d’une aussi belle occasion. »(Extrait 92)
     
    Le Satyricon peut  être lu comme un roman d’amour, d’un amour « gay »qui unit Encolpe et Giton. C’est un roman érotique au sens moderne du mot mais ici l’érotisme conserve un caractère discret. L’écriture de notre auteur est beaucoup plus pudique qu’on le dit parfois : tout est évoqué par allusions et métaphores. On peut parler de grivoiserie mais certainement pas de pornographie telle que nous l’entendons. D’autres auteurs romains, comme Apulée et Martial ont été beaucoup plus audacieux à cet égard.

    Coupe d’argent montrant un couple masculin : un jeune adulte et un  puer delicatus  (un « tendre enfant », son jeune amant en fait) qui, pourraient être les Encolpe et Giton du roman.
     
    Certes, on ne lira donc pas de descriptions détaillées de pratiques sexuelles, seul, à deux ou en groupe, mais seulement des évocations, des suggestions. Et pourtant jamais une œuvre aussi peu pornographique n’aura senti le sexe à ce point. On l’a vu avec l’évocation du gros paquet d’Ascyltos. Voyez aussi cette façon presque délicate dont l’hôtesse, Quartilla commence avec un très jeune garçon. «  Je répondis que c’était mon petit frère. « Pourquoi alors,dit-elle, ne m’a-t-il pas embrassée ? Elle l’appela et l’embrassa bien fort. Bientôt, elle glissa la main sous sa tunique et manœuvrant cet engin encore tout neuf : «  Voilà, dit-elle, qui demain prendra gentiment du service pour me mettre en appétit ; aujourd’hui, après avoir mangé une grosse anguille, je ne veux pas de fretin. » 
     

      Mosaïque érotique du  2ème siècle
     
     
    Dans l’extrait suivant Giton ne laisse guère Encolpe dormir . Mais, encore une fois, pas un mot, pas une expression n’est clairement pornographique alors que tout tourne autour d’actes sexuels.
    « Mais une récidive simple ne contenta pas cet éphèbe déjà mûr pour l'amour et que l'ardeur de la jeunesse rendait impatient . Il me tira donc de mon sommeil : « Eh quoi dit-il , tu ne demandes plus rien ! ... » . Je n'étais pas fourbu au point que sa proposition pût me déplaire . Me voilà donc suant et soufflant qui m'évertue à lui donner satisfaction après quoi, las de jouir, je repris mon somme. Mais une heure ne s'était pas écoulée qu'il se met à me pincer en disant : « Pourquoi pas encore une fois ? » Alors moi, trop souvent réveillé, je lui réponds , furieux , en lui resservant ses propres menaces : « Dors donc, ou je dis tout à ton père ! »  

     Giton était-il aussi attirant que le garçon qui a servi de modèle à cette statue  datant ( environ) de l’an 100 ?
     
    D’autres fois, Encolpe est plus disponible mais Alcyste vient troubler leurs ébats: « Giton me baisa de tout son cœur. Moi, serrant le cher enfant dans une étreinte robuste, je goûtai de mes vœux la jouissance plénière, au point de rendre les dieux jaloux. Nos délices n'étaient pas encore épuisées quand Ascylte s’approcha de la porte à pas de loup, et,forçant le verrou avec fracas, il nous surprit, Giton et moi, au beau milieu du jeu. Aussitôt son rire, ses battements de mains emplirent la pièce ; il souleva le manteau dont je m’étais couvert et s’écria : « A quelle besogne te livrais-tu, ô mon petit frère ? Hé quoi ? Logés à deux sous la même couverture ? Et loin de s’en tenir aux simples paroles, il détacha la courroie de sa sacoche, et le voilà qui se mit à me fouetter vigoureusement en assaisonnant ses coups de sarcasmes obscènes : « C’est ce que tu appelles partager le bien fraternel ! Foin d’un pareil partage ! »
     On pourrait mentionner des allusions à des partouzes : l’un des héros à tant donné qu’il ne peut plus répondre aux demandes de ses partenaires. Alors, un homme vint qui « me mouilla du plus immonde des baisers. Puis il vint se mettre sur mon lit, me déshabilla, s’attachant à mon bas-ventre, il me pétrit longuement, mais en vain ». Quelques pages plus loin voici des voyeurs qui épient un couple faire l’amour : « Elle approcha un œil d’une fente ménagée indiscrètement[…] elle m’attira vers elle, d’une  main caressante, pour que j’assiste au même spectacle. Nos visages se touchaient, elle avançait légèrement les lèvres et m’appliquait vivement des baisers furtifs et rapides. » Ailleurs c’est une scène pédophile qui est esquissée : « Oui, dit Quartilla, tu as une bonne idée. Pourquoi ne pas faire dépuceler notre Pannychis ? »  Immédiatement elle fit venir une fillette fort belle, qui paraissait bien n’avoir pas plus de sept ans [… La femme] se leva, prit Giton et l’entraîna vers la chambre. […] Le gamin n’avait pas résisté et la fillette elle non plus ne s’était pas affligée et n’avait pas pâli au mot d’union et leurs corps avaient inventé toutes sortes de caresses.»
    A un moment, Encolpe, ne parvenait plus à pénétrer ni fille ni garçon, car son sexe demeurait flaccide. Il se décida à aller trouver une magicienne nommée Œnothéa. «Elle sort un phallus de cuir qu'elle enduit d'huile, de poivre broyé et de graine d'ortie pilée, et, à petits coups, se met à me l'enfoncer dans le derrière», (Extrait 138). Puis, la magicienne fouetta le pénis de son patient avec «une poignée d'orties vertes». Un traitement efficace, puisqu'Encolpe retrouva un peu plus tard toute sa virilité comme le raconte la suite du texte : « Alors, dit-elle, Monsieur le paralytique ? Est-ce tu es entier aujourd’hui ? - Pourquoi me demander, répondis-je au lieu d’en faire l’essai ? » Alors je me donne de tout mon corps à son étreinte, et je me laisse aller au charme de ses baisers, qui ne doivent rien aux sortilèges. »

     Une édition de 1910 du Satyricon avec une illustration de la scène avec Œnothéa rapportée ci-dessus.
     
     
    Si j’ai isolé l’aspect sexuel du livre, il ne faudrait surtout pas le réduire à ceci. C’est une sorte de mascarade ou de farce tragi-comique pleine de verve dans une tradition italienne qui a longtemps persisté, bien après la chute de Rome. Le livre est difficile à lire de nos jours puisque le texte est très incomplet, la trame romanesque est coupée par de très nombreuses lacunes qui rompent le fil de l’histoire. D’autre part, la façon d’écrire, certains sujets abordés, toutes les allusions historiques ou mythologiques ( que nous ne pouvons plus comprendre) et surtout la distance de 2 000 ans qui nous sépare de l’auteur nous empêchent d’apprécier le récit, sa verve, son style vivant et brillant, le réalisme et le pittoresque des descriptions.
    Il n’en reste pas moins que ce livre est un tableau vivant de la société décadente romaine et qu’il mérite d’être connu en tant que premier roman occidental.

     

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